Lambeaux de mémoire Shreds of memory

SOs de neige SOs in snow

Préface Foreword

C'est l'après-midi. Cette nuit je me suis réveillé avec les paroles: "c'est trop horrible". Pendant mon sommeil, un lambeau de mémoire venait de refaire surface mais cette fois le sommeil n'est pas revenu immédiatement. Je resassais cette histoire si triste encore et encore. Il y manquait des bouts. Au second réveil le matin, ces bouts d'histoires me sont revenus. Ce paquet de lambeaux est donc assez complet pour en faire un premier récit.

Une autre histoire, celle-là bien connue, m'est aussi venue à l'esprit ce matin. Celle-là est la clef de ces lambeaux puisque je ressens les mêmes choses à son sujet. Et les deux me brisent le coeur de la même manière. C'est «La petite fille aux allumettes».

to come.

Lambeau 1 Shred 1

Je ski dans la montagne. Les conditions deviennent de plus en plus faciles et plaisantes depuis que la tempête de neige fait rage aujourd'hui. Une accumulation extraordinaire et rapide de neige poudreuse de choix. Tellement que malgré mon peu d'habileté, je ne tombe presque plus. Et puis on tombe dans un duvet moelleux quand ca arrive. Le ciel très sombre de la tempête fait perdre la notion de l'heure. Est-il déjà le soir? Non, le remonte-pente fonctionne toujours. Je n'ai pas vu d'autres skieurs depuis un bout sauf ce qui semble une fille très belle en survêtement d'une pièce et qui ski expertement. Je l'ai suivi quelques fois afin d'apprendre son truc. Plie-déplie genoux, penche un peu et voilà. Bonne idée de la suivre. Mais bizarrement, elle disparaît mystérieusement à chaque fois.

Lambeau 2 Shred 2

Cette fois je crois que c'est la dernière remontée. J'ai cru comprendre le préposé avec son signe. Il fera vraiment noir bientôt. En haut, la tempête rage, neige accumule à vue d'oeil. C'est la dernière descente, je prends tout mon temps et ski lentement fasciné par la tempête.

Soudain, une ombre furtive passe à côté. C'est encore cette fille si bonne! J'accélère pour la rattrapper et la suivre. Je suis ses traces. Puis soudain, plus de traces. ?? Il n'y a qu'une piste ici, elle n'a pas disparue quand même. Je fais toute la largeur de la piste, pas de traces. Mmmmh, il y a peut-être une piste que je ne connais pas que j'ai manqué. Je remonte la piste pour voir.

J'arrive à ce qui ressemble à une piste. Et oui, voilà qui semble être sa trace, déjà presque couverte par la neige. Mais je remarque les cordes de chaque côtés. Cette corde marque la limite de la station. J'essaye de confirmer en tirant sur la corde pour la déneiger. Je n'y arrive pas, trop de neige accumulée. Mon avait dit: «Si tu traverse cette corde, tu es mort!». Un frisson me prend. Elle est morte maintenant. J'hésite, dois-je voir si elle est morte au péril de ma vie? Et puis, si elle va mourir, je voudrais bien la remercier pour skier si bien. La peur l'emporte et je commence à skier dans la bonne direction, très lentement. Je n'arrive pas à me décider... Et puis merde, je suis trop intrigué. Je remonte la pente à la jonction. Je regarde ses traces qui disparaissent dans le noir et sous la neige rapidement. J'y vais, j'y vais pas, j'y vais, j'y vais pas... Je dois décider car ses traces sont presque invisibles maintenant. Bon, j'y vais lentement... Ses traces sont un peu plus visibles dans la pente, assez facile à suivre. Puis, la poudreuse est trop légère et profonde. Je m'arrête et ne vois plus aucune trace, pas même les miennes. C'est perdu, elle a encore disparue. Me voilà bien. Impossible de remonter d'ici. Je décide de descendre le plus bas possible en suivant cette piste, ou ce qui y ressemble tellement avec des arbres de chaque côtés. Et j'y prend beaucoup de plaisir.

En bas, c'est moins sombre un peu. La neige a cessé mais aucune lumière en vue, pas même du ciel. Il n'y a plus assez de pente pour skier. Je me déplace avec difficulté jusqu'à ce que je touche un creux. La neige est moins profonde et plus dure un peu. Je suis ce «sentier» qui se dirige vers les arbres à gauche. A l'orée, je vois une ombre. Un ours? Un loup? Je crie: «Qui est là? Ours ou loup?» Une voix féminine ou enfantine répond: «No, don't come. Go away!» ce qui me rassure pas mal. C'est humain mais ca ne parle pas pour se faire comprendre. Quel jargon! Je m'approche aussi vite que possible dans cette neige profonde. Quinze minutes plus tard, j'ai fait dix mètres mais je l'entend aussi se battre avec la neige, très proche. Et puis je la vois, c'est bien la fille en question. Elle fait des gestes menaçant avec sa pôle en criant méchamment. Ben merde, je ne vais pas la remercier alors. Je retourne sur mes pas pour trouver mes skis et mes pôles au moins. Je ne les trouve pas. Je me sens complètement perdu et rejeté en plus. Je pleure un peu je crois.

Bon, que faire? Elle se bat avec la neige et avance sous le couvert. C'est con. Je ne peux pas rester ici. J'ai sué et je sens le froid venir. Il faut bouger. Il n'y a qu'une direction qui avance, pas le choix. Et puis j'avance lentement sans me faire entendre. A l'orée du bois, c'est très sombre.

J'avance sans la voir ni l'entendre. Puis une exclammation: «A boy!... ». Elle en dit plus et d'un ton conciliant mais je n'y comprend rien. «J'comprend rien!» Elle s'approche, fait des signes. Bon, ce n'est pas la guerre finalement. «La nuit tombe, il faut se faire un abri.» Je fais des signes de toîts et nous dedans. Elle fait signe de la suivre. Bon, elle a compris et elle connait un abri tout près.

Elle s'arrête au milieu de nulle part. Elle me place devant elle. Elle est pas mal plus grande que moi, elle a un air décidé. «Mais où est l'abri? Il faut faire un camp! On va geler sinon!» Elle a l'air intriguée, elle ne comprend pas. «Geler, on... va... geler. Trop... froid... Camper.» que je dis en prononçant du mieux que je peux. «French! You're french. Je... parler français... un peu. Moi... protéger toi.» Me protéger? Mais où? Il faut se faire un abri isolé du froid. Elle semble en confiance, ici est bon et me dit de ne pas bouger. C'est absurde, mais elle semble savoir ce qu'elle dit. J'essaye de dormir à ses pieds alors qu'elle me couvre de son corps. Le froid n'est pas mordant pour le moment. Mais je pense que c'est une mauvaise idée. J'insiste et essaye de faire un monticule de neige. Rien à faire, cette poudreuse refuse de coller. Je suis crevé et me dis qu'on fera ca demain... si on est encore en vie. Je reprend ma position sous son ombrelle, ce qui semble la satisfaire.

Je tremble. Le froid me réveille. Elle s'est endormie dans cette position. Je sors sans trop la bouger. Il faut vraiment faire un abri. J'essaye au moins quinze minutes à faire tenir la neige pour faire un mur. Assez pour commencer à voir chaud. Rien à faire, c'est de la neige en poudre qui ne veut pas coller du tout. Je retourne dessous elle. Elle semble froide. Je me colle pour la réchauffer autant que possible mais on dirais un glaçon. Je m'endors un peu malgré tout et pense au lendemain où on verra mieux.

Lambeau 3 Shred 3

Le matin arrive. Lentement, le jour se lève. Je suis fatigué. Je ne sens plus mes orteils. Je me concentre à les bouger. Aië, quelle douleur! La fille est glacée. Je lui fait des massages pour essayer de la réchauffer. Sa chair semble assez molle sauf les jambes. Je masse ses jambes plus. Rien à faire. Je lui relève le tronc verticalement. Elle ne casse pas. Je pense au vieux truc pour se chauffer. Je vais me chauffer en bougeant et je vais la réchauffer avec ma chaleur. Je me réchauffe en courant et visitant les alentours. Je trouve des idées d'abris. J'ai soif et bois de la neige que je fond dans ma bouche. Voilà une idée, je vais lui donner de l'eau. Je reviens à elle. Elle n'a pas bougé. Elle est froide mais pas un bloc de glace. Je dézippe son haut et le mien. Elle est trop froide pour aller peau à peau. Elle est froide. Je fond de la neige et lui donne un très petite quantité d'eau de bouche à bouche. Elle l'avale, je crois qu'elle l'avale. Ca m'encourage et je continue ce stratagème avec plus d'énergie. Ce faisant, je réalise à quel point elle est belle. Quelle beauté! Merde, c'est la belle au bois dormant qui ne se réveille pas. Plus d'ardeur! Finalement, je ne sais pas combien de temps passe, elle ouvre les yeux d'elle-même. «Ooooh. So sleepy. Toi vivant!» Elle semble sortir d'un rêve plutôt bien. «Moi, oui. Mais toi tu gèles! Réveille, faut bouger!» Regard hagard. Pardon. «Toi, bouger. Doit, bouger. Vite. Vite! Bouge, jambes.» Elle semble essayer, rien ne bouge. «Bouge, jambe que je touche. Bouge jambe droite. Oui, droite.» Je lui prend le genoux pour l'aider. Ca ne bouge pas. Je dégage sa jambe pour voir ce qui colle. Le dessous de sa botte est glacé. Je tape et souffle pour le décoller. J'y parviens après un temps. «Essaye de bouger jambe, maintenant.» Elle s'est rendormie. Je la reréchauffe. Quelle beauté quand même. Faut la faire revenir. «Oh, hello.» Ah, enfin. «Bouge, jambe. Botte, dégelée.» Sourire, douleur, puis grosse déception. «Mal. Pas. Trop, tard.» Non, non, non. Elle va perdre ses jambes. Faut de l'aide, un feu, de la chaleur. Je n'ai rien pour un feu. «Non. Concentre. Pense. Bouge, bouge, bouge.» Elle répond, décue: «Trop tard. Moi mourir.»

Lambeau 4 Shred 4

Un bruit au loin, qui approche. C'est un hélicoptère. Sauvé, on est sauvé. Je sors du bois aussi vite que possible. Je le rate. Je vois qu'on est près du bas avec une clairière. Je retourne à la fille. «Meurs pas. Dors pas. Si dors, toi meurs. Reste réveillée. Je vais faire un SOS dans neige plus bas pour hélicoptère.» Elle s'illumine. «Oui. Bon, idée.» Je descend en me trouvant un sentier dégagé. Les formes enneigées trahissent des arbres tombés et des rochers. Je note un gros rocher qui forme une grosse bosse. Dans la clairière, bien en vue, je fais un gros SOS en marchant les pieds se frottant. Je saute entre les lettres. Il est bien formé et l'hélico ne peut pas le manquer. Je retourne à la fille. Si les secours arrivent aujourd'hui, elle ne perd que ses pieds je pense. J'ai chaud en remontant.

Lambeau 5 Shred 5

La fille est là et n'a pas bougé. J'ai espoir mais je suis très inquiet. Je suis certain qu'il y aura un hélico puisqu'ils font toujours les deux directions mais je n'ai pas idée quand il passera et le pilote verra-t-il le SOS? Je n'en fait pas part à la fille qui semble s'approcher du moment fatidique. Le jour passe à ses côté, je la réchauffe autant que possible. La température monte au point d'être facile pour moi de rester hors de danger. Je surveille la progression de son état. Il me semble que ses jambes sont moins raides dans l'après-midi.

Fin après-midi, on entend comme un moteur très loin. L'hélico est passé trop loin et on perd espoir pour la journée. Comment survivre une autre nuit? Le temps s'assombrit lentement. Je n'ai qu'à ne pas dormir ou à me reveiller dès que je me sens froid et à bouger ou courir jusqu'à ce que je me réchauffe. Je ne sais pas combien de temps j'ai pu faire cette procédure.

Je reviens à moi au matin. Je ne sens plus mes orteils, la fille est figée comme une statue. Je procède à mon réchauffement d'abord. Je marche, je cours, je descend quelques pas, je remonte. Bon Dieu, pourquoi avoir laissé la fille me dire quoi faire? Je savais qu'il fallait bouger. Il fallait un abri. Maudit.

Je procède à son réchauffement mais elle semble morte déjà. En la massant, je remarque qu'elle n'est pas complètemnt figée. Ses yeux sont ouverts. Je les lui ferme. Une minute plus tard, ils sont ouverts. Elle n'est pas morte? Je lui parle. Je me parle en même temps. Pourquoi ici? Pourquoi avoir manqué de faire un abri? Je vois son visage changer d'expression sans dire un mot. Je crois deviner ses pensées. Je la serre contre moi, je la secoue. Pourquoi les autres meurent-ils devant moi même si j'essaye de les empêcher? Je suis trop petit. On ne me prend pas au sérieux. Que puis-je y faire?

J'entend le bruit. Merde, des pets. Je connais ca. C'est la mort qui s'empare de son corps. Elle va faire dans ses vêtements. Je me dépêche à lui ouvrir son survêtement puis ses pantalons. Presque pas de merde encore. Je lui dit qu'il le faut à moins qu'elle préfère qu'on la trouve dans sa merde. Est-ce mon imagination? Elle semble vouloir dire d'accord, merci de l'attention. Je dégage ses vêtements et met ma main de sorte que la merde soit dirigée vers l'arrière sans la toucher ni ses vêtements. Il y en a un tas et ca vient pas vagues. Entre les vagues, je lutte pour rester éveillé, je me nettoie la main. Les vagues deviennent de plus en plus espacées et mineures. Je la r'habille. Une autre vague, redéshabille. J'en suis épuisé et je m'endors aussi tellement. Je m'assoie par terre pour mieux voir et pouvoir lui nettoyer le plus possible. Je prend de la neige pour bien l'essuyer. Je m'assoupis. Je me réveille et il commence à faire noir déjà. Je la r'habille une dernière fois. Elle est si belle, malgré un air figé de desespoir. Je m'en veut tellement de ne pas l'avoir forcé à bouger le premier soir. De ne pas avoir cherché un abri, n'importe quoi. Que faire maintenant?

J'ai au moins encore une nuit à vivre. Elle, partie dans l'au delà, je me cherche un abri. Je vais voir ce gros monticule de rocher. Dessous côté pente, il n'y a presque pas de neige. Je chasse cette neige et chance, le sol est friable. Je me creuse un trou pour me glisser le plus à l'abri. J'ai un peu peur qu'il me tombe dessus mais je me rassure en sortant et en essayant de le faire tomber. Très solide. Je monte dessus et autour pour pousser une bonne couche de neige qui fera office de murs bien isolés. Je m'installe et ferme l'entrée avec de la neige et du sol. C'est froid au départ et je me force à trembler pour être certain de ne pas geler. Je me réveille plusieurs fois en tremblant.

Au matin, je ne me sens plus froid, sauf au pieds et les orteils sont insensibles. C'est ce qui arrive avant de mourir. Une sensation de chaleur. Je me prépare à mourir. J'attend. Je m'assoupis. Je me réveille un peu plus reposé et je me sens presque confortable si ce n'était de mes pieds. Ben alors? Je ne meurs pas? Je touche le rocher. Il semble aussi chaud que moi. Mes «murs» ont même l'air de fondre. Je reste là toute la journée alors que la neige reprend et ferme bien les orifices et m'enveloppe dans un cocon. Vers la fin de la journée, je décide de me dérouiller les jambes et les pieds que je ne sens plus. Je considère mes orteils perdus.

Lambeau 6 Shred 6

Je vais voir la fille. Je l'ai bien recapuchonnée. Elle n'est pas trop enneigée. Elle semble avoir un visage serein cette fois. Je lui ferme les yeux mais ils ne ferment pas bien. Je les ouvre à nouveau. Je lui place les mains comme pour faire une prière, histoire d'avoir le Seigneur de son côté. En souhaitant que son corps ne se dégrade pas en gelant. Peut-être que les animaux vont la laisser plus volontier tranquille. Enfin, l'ai-je fait ou l'ai-je rêvé? Le monde semble irréel. Avant de partir, je jette un coup d'oeil dans sa direction et je vois une ombre derrière elle. Je vois double ou est-ce un ange? Une vision? On n'était pas seuls mais on n'était pas aidés!? Une frayeur m'empare. J'hésite puis reprend du courage. Je crie à l'ombre: «Hé là!» Pas de réponse. Je cours vers la fille mais la frayeur revient à l'entrée du bois, il y fait si noir. Je ne vois plus d'ombre. Je résoud de retourner voir durant le jour. La neige laisse des traces. Je me sens triste et j'ai un peu le goût d'abandonner mais je pense à ce qui arriverait à nos corps si je ne reviens pas pour dire où on est. Je retourne au trou de la roche avant qu'il ne fasse trop noir.

Lambeau 7 Shred 7

Je commence à m'habituer à vivre sous ce rocher. Avec la chaleur, le sol dessous est plus friable et j'y retire les cailloux et les bosses. C'est presque comfortable maintenant. La neige accumulée l'isole très bien du froid. Les murs de neiges se sont transformés en parois glacées. Je n'ai plus qu'à garder un petit trou pour respirer et sortir de temps à autre. J'entend un hélico à l'occasion mais je ne suis jamais dehors à temps. Et puis, on ne voit pas grand chose quand il neige. Il faudrait du soleil. Je retourne refaire le SOS tous les matins ou après une chute de neige. Il n'y a rien d'autre que je puisse faire. Remonter la montagne est impossible à pied dans cette neige. Ca prendrait plus d'une journée et je serais pris sans abri au moins une nuit. Ah, si j'avais des allumettes. Je bouge mes orteils à intervalles réguliers pour les réchauffer. Mes deux gros orteils fonctionne bien maintenant et même tous mes orteils d'un pied sont revenus en bon état. Les petits orteils d'un pied me causent du soucis. Je ne les sens plus même si j'arrive à les bouger un peu. Je pense que je vais les perdre. Avec de l'insistence, je retrouve des sensations dans le plus grand de ces petits. C'est une source d'espoir.

Lambeau 8 Shred 8

J'avais presque oublié ou j'avais peur? Finalement, je pense aller voir la fille. Bien gelée. Il a neigé et elle en est couverte. Je la vois de dos en arrivant et j'ai peur de la déranger. Je regarde bien le sol. Plein de traces mais toutes semblent miennes, de ma grandeur de pied. Je les examine bien attentivement. Non, vraiment, on était bien seuls. Je ne sais pas ce que j'ai vu. Dans la lumière du jour, ca me semble bien irréel. Je vérifie qu'elle est bien gelée. Elle semble se déssécher. Je décide de mieux la couvrir et la recouvrir pour protéger son corps.

Lambeau 9 Shred 9

Le ciel se dégage enfin pour de vrai. Je commence à sérieusement fatiguer. Hier, j'ai cru entendre un hélico qui s'est approché. J'ai cru qu'ils envoyaient des secours, alors j'ai simplement attendu pensant qu'ils suivraient les traces au sol menant à moi et à elle. Erreur. L'hélico ne s'est même pas posé. Je vois qu'il a survolé le SOS d'assez près mais ils ne sont même pas descendus. Quels cons! Le SOS s'est renneigé avec ca. Le soleil est si brillant aujourd'hui que j'en ai mal aux yeux. Je n'ouvre qu'un oeil un peu pour voir où je vais. Bon, je vais refaire le SOS. La neige est lourde, mes pieds me pèsent, chaque pas prend des efforts. Quelle fatigue! Je ne refait pas le SOS aussi bien. Après quelques pas, je marche normalement en suivant les traces des lettres. Bah, ils savent qu'il y a un SOS et ils ne se donnent pas la peine d'envoyer des secours. Quels merdeux! Arrivé au S final, je suis épuisé et dépité. Merde, je ne vais faire qu'un petit s. Pourquoi m'épuiser plus pour rien? Voilà. Il est petit mais visible. J'attend en vue du SOs jusqu'à ce que le froid me prenne, à la brunante.

Lambeau 10 Shred 10

Quel comfort sous la roche. Je l'aime cette roche. Je n'aurait pas pu trouver un meilleur endroit sauf peut-être l'antre d'un ours. Je n'ai même plus envie de sortir. Pourquoi faire? Avoir froid et me fatiguer plus? La faim ne me tiraille pas. J'ai de l'eau à profusion, quoique glacée. Je me repose bien et j'aime ca. Demain est une autre journée.

Un son de moteur. Il passe sans s'arrêter mais il était assez proche. Mes sens s'éveillent. Il n'est pas resté assez longtemps. Je m'endors. Ils ne viendront jamais. Il va falloir rester ici jusqu'au printemps. Trouver quelque chose à manger sera nécessaire.

Moteur encore. Encore un qui passe. Oh, attention, celui là s'approche. Je me botte le cul pour sortir de mon trou et cours vers le SOs. L'adrenaline me donne des forces. Il est à quinze mètres du sol, juste devant le SOs. Je fais des signes: oui, oui, descend, pose-toi, ammène-moi! J'endure le souffle glacial de l'hélice et m'approche plus. Je vois le pilote et je vois qu'il me voit. Mais quel crétin! Pose-toi et ramasse-moi, qu'est-ce que tu attend? Il fait un face de baveux et ca me fait baver. Il remonte lentement et je désespère. C'est impossible. Maudit anglais! Pas le genre à aider, hein? Je m'étend sur le dos et regarde l'hélico qui s'éloigne. Ben là, y en a un qui sait qu'il y a quelcun ici. Est-ce qu'il va garder ca secret? Je pense qu'il y a des chances qu'il parle et que quelcun d'autre avec un cerveau en bonne et due forme vienne. Je ne souffre pas, je ne sens pas le froid, j'admire le paysage en imaginant le pilote se faire traiter d'imbécile quand il raconte avoir vu quelcun près du SOs et n'être pas arrêté. Ca me fait rigoler. Mais avec le temps qui passe, l'inquiétude me fait imaginer les anglais qui rigolent le printemps venu, lorsqu'ils trouvent mes os ici. Les deux scénarios se battent dans ma tête. Ce dernier scénario semble de plus en plus probable avec le soleil qui traverse le ciel et passe le zénith. Vilain scénario qui bat l'autre à coup de poing, bam! Pif! Paf! Le scénario intelligent est battu, à terre. Comme moi, dans la neige, à attendre le miracle.

Ah? Ah! Moteur! Celui-là arrive très vite. Deux mecs descendent. Enfin, c'est pas croyable niaiser comme ca. Ils me sautent dessus avec un air content. Mon père! Avec un autre que je ne connais pas. Mon père me demande s'il y a quelcun d'autre. Je dis oui, une fille qui est dans les bois. «Il faut aller la chercher, a veut pas sortir du bois! Elle a peur! Suivez les traces! Sauvez-la!» C'est gagné, ils restent pour la sauver. En remontant, je pense que deux mecs en santé et bien chaud pourraient peut-être la réchauffer asser et la remettre en vie. On verra bien si c'est possible. C'est aussi un test pour mon père abuseur et faux-héros. Si elle reste morte, ils ne peuvent pas lui faire grand mal de toute manière.

Lambeau 11 Shred 11

Infirmière et docteur s'affèrent. Ils m'enlèvent mes vêtements, ils essayent mais je résiste. Non, mais quoi? On veut m'abuser? Quelcun qui parle français vient m'expliquer qu'il faut me déshabiller pour m'examiner. «Je peux-tu garder mes petites culottes?» «Ben oui.» Bon, je les laisse faire mais garde mes mains sur mes petites culottes. C'est obligé, je suppose. Je me sens un peu froid et la chaleur ne m'est pas confortable. Il remarques mes orteils insensibles et me montre comment ils sont bleus. On me dit qu'il devront être coupés. Quoi! Pas question! Je les garde. Là on me dit que peut-être pas. Il va faire ce qu'il faut pour les faire revenir si j'y tiens tant. Ben quin! J'espère.

Lambeau 12 Shred 12

Le docteur a un air satisfait. La francophone me dit que mes orteils vont revenir normaux. Comme si je ne le savais pas. Je me sens tellement bien. Pomponné, nourri, reposé. Je vais demander si je peux rester ici.

Une femme vient me voir et me demande si j'ai vu mon père.
- Pas depuis un bout. — Ca me rappelle la fille. — Est-ce qu'ils ont été capable de sauver la fille?
- Quelle fille?
- La fille dans les bois, avec moi. Ben oui, qui d'autre? Mon père et un autre gars étaient supposé d'essayer de la sauver. Est-ce que ca a marché?
- J'savais pas ca. Tu dis quoi là?
Je lui explique que les deux sont restés pour sauver la fille peut-être. Ca a marché? Où sont-ils ces trois là?
C'est le branle-bas. Elle sort rapidement pour expliquer la situation. Je suis confus. Qu'est-ce qui se passe maintenant avec les anglais. Elle revient avec d'autres qui parlent français. Je dois expliquer plus en détails. Grosses exclamations. Ils ont disparu depuis ce temps. C'est là qu'ils sont! Ben quoi, ils devraient le savoir, le pilote le sait sûrement, il les a laissé là. Je n'arrête pas de m'étonner de l'imbécilité des adultes. Et on est supposé d'obéir à c'te bande de cons. Une chance qu'ils ne sont pas imbéciles 100% du temps. Ca ferait dur.

Epilogue Afterword

Mon père et l'autre ont survécu grâce au rocher et au trou que j'avais trouvé. J'ai reçu des accolades de plusieurs et même de mon père à cause de ca. Ca changeait des insultes de cette ordure. Je ne me souviens pas avoir entendu parler de la fille par la suite mais ma mémoire a peut-être des lambeaux de cette histoire qui feront surface plus tard. Je ne crois pas qu'elle soit revenue à la vie. Son corps a certainement été récupéré. Il semble qu'il y ait eu malentendu qui explique pourquoi on ne savait pas où mon père et l'autre étaient partis. Du genre qu'ils disparaissaient ensemble à l'occasion.

Je n'arrive pas à dater cette mésaventure. Probablement avant mon adolescence.

Les hélicos qui passaient avaient à faire avec du ski héliporté ou une cabine isolée. Je n'ai jamais compris pourquoi une équipe de secours n'avait pas été envoyée dès que le SOS a été vu. Une histoire semblable est arrivée près de la station Kicking Horse de Golden, il y a quelques années. Tout le monde à la station de ski étaient au courant de mystérieux SOS apparaissant dans la vallée sur le versant sauvage. J'ai dû insister auprès d'une connaissance pour lui faire appeler la police. Elle refusait que j'apelle moi. Cette nuit là était plus froide. C'est la nuit où la femme du couple perdu est morte de froid. Les secours n'ont été envoyés que plusieurs jours plus tard lorsqu'un pilote de héliski est retourné voir le SOS de près et que l'homme est sorti. La GRC et l'équipe de recherche et sauvetage de Golden se sont fait poursuivre en justice. Le couple était francophone et j'ai entendu dire que la mafia anglaise était impliquée dans leurs déboires. Crime organisé et imbécilité organisée vont main dans la main...

Premier jet le 16 nov 2012, addition 13 jan 2013 © Serge Lamarche

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